Zur Pressekonferenz "Kulturgüterstreit SG–ZH, die Schweiz und die Wiedergutmachung der Sklaverei" vom 19. Oktober 2006 in Bern

L’Etat Haïtien indemnisa dans la douleur les anciens colons français d’Haïti! – A quand la rétribution du travail des Haïtiens maintenus en esclavage sous le pouvoir colonial français?

Jeannot HILAIRE, ancien Chargé d'affaires à la Mission permanente d'Haïti à Genève


1). En référence au spectacle de Mr Hans Fässler "Louverture stirbt 1803", une place m’a été faite dans cette conférence de presse, pour témoigner sur une période d’histoire du pays de Toussaint Louverture, au-delà de la disparition du Père précurseur.

2). Un Etat naquit le 1er janvier 1804 dans les Caraïbes. Un Etat porteur de symboles forts:
a). par sa dénomination: HAITI (récupération de l’appellation taïno en lieu et place de Saint Domingue la coloniale) une façon d’associer les Amérindiens (disparus du paysage ethnique du territoire) à la victoire sur l’esclavage et le colonialisme européen en Amérique, et la restauration de la dignité des Noirs et des Amérindiens leurs devanciers.
b). par sa révolution radicale, qui amena les anciens esclaves à s’imposer comme la nouvelle société et à hisser leurs représentants au sommet de l’Etat.
c). par son caractère atypique pour l’époque: dans un environnement où seul compte l’homme blanc avec ses valeurs et sa force de domination, un minuscule Etat surgit sous le signe du Pouvoir noir  et de la liberté reconquise par l’homme noir, Haïti s’est offert comme la patrie de tous les Noirs persécutés de par le monde.

3). La gestion du quotidien restait précaire. Les partenaires dont on pouvait attendre un soutien politique considéraient Haïti comme une menace, un exemple à ne pas suivre:
a). peste à confiner dans son île, disait Jefferson qui en 1806 prit l’initiative d’une loi interdisant tout commerce avec Haïti; pays ni indépendant, ni rattaché à la mère-patrie, disait le diplomate américain Albert Gallatin en 1815.   ||   Un pays sans identité, apatride, on ose dire!
b). la France ne cessait de se considérer comme la propriétaire légitime de son ancienne colonie; la reconquête restait un objectif permanent. D’où la pression constante sur les autres pays pour qu’ils s’abstiennent de reconnaître l’indépendance d’Haïti. Jusqu’au Congrès de Vienne, la France jouait les USA comme puissance montante, contre la Grande-Bretagne à l’époque puissance hégémonique sur les mers du monde.
c). La rivalité France--Angleterre sous l’empire napoléonien offrit indirectement une protection au petit Etat caraïbe, sans toutefois minimiser les mesures de défenses prises par les dirigeants haïtiens: édification de forteresses dans les montagnes, entretien d’une armée importante sur pied de guerre, arsenaux bien garnis, vigilance.

4). En 1814, Haïti commémorait le dixième anniversaire de son indépendance, sans qu’aucun Etat ne l’ait reconnu. Le commerce extérieur fonctionnait grâce à des hommes d’affaires étrangers installés dans les ports. Le sucre de canne ne représentait plus grande chose comme produit d’exportation.

5). Les déplacements des Haïtiens hors des frontières avec des documents de voyages nationaux restaient problématiques. Le pays sentait le besoin de sortir de son isolement. Il dût compter sur les bons offices des personnalités étrangères pour établir quelques contacts diplomatiques. La division du pays en deux (1807) fut un signe malheureux à l’adresse de l’extérieur.  Henry Christophe, Chef anglophile du Nord, entretenait officieusement une mission diplomatique à Londres. Il reçut en grande pompe l’Amiral britannique Lord Home Popham en visite officielle les 20-22 mai 1819. Il ne négligeait pas la diplomatie de proximité, en cultivant les bonnes relations avec les dignitaires anglais de la Jamaïque, et les Espagnols de la Partie de l’est. Pétion, chef francophile du Sud, accueillit à deux reprises Simon Bolivar, alors chef d’un mouvement de libération nationale. Des tentatives timides d’établir des contacts à la Jamaïque, en France, dans la Partie de l’est.

6). La Mission Dauxion Lavaysse – Franco de Medina et Draverneau (1814), mandatée par les autorités françaises, ne fut en réalité que de l’espionnage actif, et avéré. La France tenue sous pression par le parti colonial bloquait toute avancée. Elle finit néanmoins par abandonner l’idée de reconquête, pour se contenter de négocier en vue d’une compensation financière. Les Haïtiens trouvaient l’idée choquante, sachant que le territoire tomba sous la férule française en tant que conquête de la piraterie (1625-70) et rançon de guerre (1697) déroulée en Europe. Ils avaient droit à une patrie et à la liberté que l’intransigeance française leur avait refusée.

7). Les dirigeants haïtiens comprirent avec les années qui passaient qu’ils n’auraient pas la reconnaissance sans rien céder en échange. L’unité du pays retrouvée avec la mort de Pétion (1818 et de Christophe (1820), Haïti pouvait de nouveau parler d’une seule voix. Malgré d’intenses négociations (de 1816 à 1824), les parties n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Des négociations sur un tel sujet furent qualifiées par le président John Quincy Adams de obscure combinaison pour obtenir d’un prince étranger une souveraineté nominale (message du 15 mars 1826).

8). Le 1er janvier 1824 Haïti commémorait le XXe anniversaire de son indépendance dans l’isolement habituel. Les nations émergées en Amérique latine à la suite d’Haïti, pas plus que les USA, ne lui tendirent la main. Un dernier round de négociations avec la France eut lieu en mai de cette année; un constat d’impasse amena la partie haïtienne à rentrer au pays le 3 août. En automne 1824 mourut Louis XVIII, Charles X lui succéda. Son Gouvernement concocta rapidement l’Ordonnance royale de 17 avril 1825, qu’il chargea le baron Mackau de faire appliquer avec des forces navales conséquentes mises à sa disposition.

9). A Port-au-Prince, la population manifesta bruyamment son hostilité. Le gouvernement réuni autour du président Boyer rejeta l’ultimatum de Mackau qui se faisait de plus en plus menaçant. Mackau s’apprêtait à repartir, quand il tenta un dernier stratagème: il demanda et obtint une entrevue privée avec le francophile président Boyer (issu d’un père français) et la suite fut lourde de conséquence.

10). Il restait l’exécution des clauses de cette ordonnance: 150 mio. de FF à verser en cinq tranches de 30 mio., dont la première au 31 décembre 1825. Une somme qui dépassait les capacités de l’économie haïtienne. Le première tranche fut versée en vidant le trésor public et réduisant à néant les budgets des institutions de formation financées par l’Etat. Les réalisations de Christophe en ce domaine furent réduites à néant. Cela ne suffisait pas, il fallut que l’Etat Haïtien souscrivit à un emprunt auprès de la société financière Jacques Lafitte & Co. de Paris, pour trouver un complément de 25 mio. réduit à 24’700 000.- FF à l’encaissement, à cause d’un intérêt de 6%. Une double dette qui empoisonna le destin d’Haïti durant tout le dix-neuvième siècle.

11). Un certain nombre de pays, dont la Grande Bretagne, reconnurent peu après l’indépendance d’Haïti. Seulement la banqueroute financière menaçait, et vers le milieu des années ‘30, Haïti se trouvait en cessation de paiement. Les démonstrations de force de la marine française dans la rade de Port-au-Prince ne purent remplir les caisses de l’Etat qui réclamait une baisse du montant de l’indemnité. Cela fut obtenu par la négociation entre des plénipotentiaires des deux Etats; mais Haïti dût ouvrir ses comptes des années précédentes aux émissaires français pour prouver sa bonne foi. Un nouvel accord en sortit le 12 février 1838, qui réduisit la dette à 90 mio. FF, en tenant compte des 30 moi. déjà versés, tout en gommant les ambiguïtés de l’Ordonnance de 17 avril 1825. (Les négociateurs haïtiens réclamaient l’abaissement à 45 mio.)

12). La commémoration du deuxième centenaire de la mort de Toussaint Louverture en avril 2003 amena un courant d’opinion en Haïti à réclamer la restitution par la France de la dette dite de l’Indépendance considérée comme une rançon qu’Haïti n’aurait jamais dû verser. On peut rappeler le mot de John Quincy Adams cité au paragraphe 7, pour comprendre que l’exigence française était choquante déjà à l’époque. Seulement, l’Ordonnance du 17 avril fut acceptée par le Président, qui obtint finalement l’aval de son gouvernement et du parlement haïtien. Des pressions ont été exercées, c’est vrai; mais Haïti a payé dans la durée l’intégralité de la reconnaissance de dette. Haïti est-elle en bonne position aujourd’hui pour réclamer en justice la restitution des sommes versées dans ces conditions? Il est difficile d’évoquer le sommeil des autorités d’antan lorsqu’elles approuvaient ce qui n’aurait pas dû l’être.

13). D’après le raisonnement exprimé dans l’article 2 de l’ordonnance du 17 avril 1825: la somme est destinée à indemniser les anciens colons qui réclameront une indemnité. Cette sensibilité pour le capital français attend toujours la rémunération du travail des esclaves haïtiens des colons et du système colonial français durant près d’un siècle et demi. L’espace national a donné une patrie et une identité à l’Haïtien qui en était privé, depuis sa rupture forcée d’avec l’Afrique. C’est le prix du sang versé pour arracher la jouissance d’un droit naturel dans un système d’abrutissement. L’esclavage des Noirs ayant été reconnu crime contre l’humanité, donc imprescriptible, l’attente de réparation, sous forme de la rémunération du travail des esclaves ne devra pas se perdre dans les calendes grecques.