"Une Suisse esclavagiste"
Un livre sur la participation helvétique à l'esclavagisme
Par Barbara Knopf, ats
Paris/St-Gall (ats) Après le rôle joué par la Suisse pendant le régime nazi et l'apartheid, les historiens se penchent sur un nouveau chapitre sombre de l'histoire helvétique: la participation à l'esclavagisme. Un nouveau livre en français sort vendredi à Paris.
Le titre est accrocheur et provocateur: "Une Suisse esclavagiste. Voyage dans un pays au-dessus de tout soupçon", en référence à l'ouvrage de Jean Ziegler sur la face cachée de l'argent des banques suisses qui avait fait scandale en 1976 ("Une Suisse au-dessus de tout soupçon").
Jean Ziegler et Doudou Diène
Le sociologue et socialiste genevois, aujourd'hui rapporteur de l'ONU, a donné son accord à ce clin d'oeil. "Il considère que mes recherches sur le passé esclavagiste de la Suisse constituent une continuation de ses travaux", a indiqué à l'ATS l'historien st-gallois Hans Fässler, lui aussi socialiste et ancien élu. Un autre rapporteur de l'ONU, Doudou Diène, a préfacé l'ouvrage.
En 2005, Hans Fässler publie en allemand le livre "Reise in Schwarz-Weiss", qui déclenche un débat politique jusqu'au Parlement sur la prise en compte officielle du passé négrier de la Suisse. Que la version française soit publiée par un éditeur parisien et non romand est le fruit du hasard, assure M. Fässler.
L'historien a été contacté par le responsable des éditions Duboiris, qui avait entendu parler de la version originale. Lui-même avait approché deux éditeurs romands, sans succès, "peut-être parce qu'un autre livre sur le sujet venait de paraître en français" ("La Suisse et l'esclavage des Noirs").
Prospérité helvétique grâce aux esclaves
Les recherches sur l'implication de la Suisse dans l'esclavagisme ne plaisent pas à tous. Certaines familles et banques ont fermé l'accès de leurs archives aux historiens qui tentent de faire la lumière sur ce chapitre longtemps occulté de l'histoire helvétique.
De St-Gall à Genève, en passant par Bâle et Neuchâtel, de grandes familles ont fondé leurs fortunes sur la traite des noirs. Elles ont possédé des plantations et des esclaves et tiré profit du commerce de produits coloniaux, voire de marchandises de traite.
Au cours du 18e siècle, la Suisse a importé plus de coton que l'Angleterre, et dynamisé ainsi son essor industriel. Le chocolat "aussi était noir", écrit Hans Fässler: il a permis à Nestlé de devenir ce qu'il est aujourd'hui. Même le fromage suisse a connu un véritable boom grâce à l'esclavagisme: il était chargé sur les bateaux négriers pour nourrir l'équipage et les noirs.
Banques, militaires et scientifiques
Les commerçants n'étaient pas les seuls impliqués. Les banques ont accordés des emprunts aux colonies, placé de l'argent dans les sociétés coloniales ou co-financé la traite des noirs. Des cantons comme Berne et Soleure se sont lancés dans la spéculation découlant du commerce de produits coloniaux.
Des militaires suisses ont participé à des expéditions de traite, gouverné des colonies, ou se sont battus pour l'esclavage. Des scientifiques tels Johann Caspar Lavater, Louis Agassiz et Auguste Forel, ont donné leur caution idéologique à l'esclavage et au racisme.
"Cette dernière contribution est impossible à traduire en données économiques ou en pourcentages", relève Hans Fässler. Pour le reste, on estime qu'entre le 17e et le 19e siècle, la Suisse aurait participé à la déportation et à l'exploitation de plus de 170'000 esclaves, soit 1,5% des quelque douze millions de victimes de la traite transatlantique.
Dans 19 chapitres correspondant à 19 lieux, Hans Fässler raconte autant d'histoires particulières pour illustrer ce passé esclavagiste. Il le fait avec la rigueur et la précision de l'historien, mais aussi avec l'humour et la verve du cabarettiste qu'il est à ses heures perdues.