ANCIEN PROFESSEUR DE L'UNIVERSITÉ AMÉRICAINE
Harvard fête l'anniversaire de Louis Agassiz

Laurent Germond


Christophe Dufour, conservateur du musée d'histoire naturelle de Neuchâtel avec Louis Agassiz

Dans des Etats-Unis jeunes et avides de se développer, le Suisse Louis Agassiz (1807-1873) s'est imposé en savant idéal. Mais, à la fin de sa vie, il incarnera aussi le replis sur le passé. L'Amérique ne lui en veut pas et célèbre son bicentenaire

25/05/2007
Le Matin Online & les agences

Quand il accepte le poste de professeur en géologie et zoologie que la prestigieuse université d'Harvard crée pour lui en 1847, la réputation de Louis Agassiz (né à Môtier FR le 28 mai 1807) est déjà établie. Lui qui a débuté sa carrière à Neuchâtel est un scientifique renommé et un pédagogue admiré.

Un «extraordinaire naturaliste doté d'un talent incomparable pour l'observation», explique à l'ATS Janet Browne, professeure d'histoire de la biologie à Harvard. Mais, s'il vivait aujourd'hui, on le décrirait aussi comme un entrepreneur.»

Son entregent et sa réputation lui permettent par exemple de faire bâtir sur le site d'Harvard l'emblématique Musée de zoologie comparée. Un musée qu'il remplira de dizaines de milliers de spécimens.

Observation et terrain
«Il y avait déjà des collections d'objets naturels aux Etats- Unis, mais celle qu'amassera Agassiz est d'une richesse fantastique.»

Surtout, ajoute Janet Browne, il n'existait alors aucune institution combinant un enseignement universitaire, un musée, une bibliothèque... «Agassiz a créé ici une véritable école de recherche en histoire naturelle - et cela deviendra la tradition aux Etats-Unis.

Savant influent et respecté par ses pairs, il joue un rôle majeur dans la construction de la science américaine. Son enseignement, qui donne une importance inédite à l'observation et au travail sur le terrain, forme une foule de savants réputés.

Avec Lincoln

Il s'engage aussi pour renforcer les structures de la science. «Il est notamment l'un des fondateurs de l'Académie nationale des sciences, créée en 1863.» Sur un tableau célébrant l'événement, on le peint juste à la droite du président Abraham Lincoln.

Agassiz s'est également imposé dans le coeur du public. Ses talents de vulgarisateur comme le récit de ses expéditions font de lui la figure du savant idéal. A Harvard, il acquiert une popularité mondiale.

Alors, quand Charles Darwin lance sa théorie sur l'évolution naturelle, Agassiz est logiquement aux premières loges. Ce sera un tournant dans l'histoire des sciences, comme dans la vie du savant suisse.

Débat passionné

«A sa sortie en 1859, le livre de Darwin suscite beaucoup d'intérêt dans le monde scientifique, raconte Janet Browne. Agassiz le trouve sans doute intéressant, mais il en rejette les thèses.»

Cette nature qu'il observe et admire ne peut être le résultat d'une succession de changements dont Dieu est absent. «Cela allait à l'encontre de tout ce qu'il pensait et ressentait. Lui y voyait un ordre, une volonté.»

Dans ce débat passionné qui agite l'Occident, Agassiz défend son point de vue, à Boston notamment. «Mais il ne le fait pas très bien, estime Janet Browne. Ce sera une défaite pour lui.» Son piédestal vacille.

Homme du passé
De fait, le darwinisme - souvent «adouci» en y glissant une influence divine - s'impose rapidement dans les grandes universités américaines. Même à Harvard, où l'enseigne un collègue d'Agassiz, Asa Gray. Le rejet d'une théorie érigée depuis en vérité scientifique a-t- il jeté une ombre sur le savant? «Il n'a pas entamé sa célébrité, répond Janet Browne. Par contre, il a donné à Agassiz l'image d'un homme qui n'incarnait plus l'avenir, mais le passé.» Un passé suffisamment exceptionnel pour qu'Harvard n'oublie pas son professeur. L'Université marque en effet le 200e anniversaire d'Agassiz en proposant deux expositions.