Aus dem Kapitel "Lyon et la nation Suisse”

Une légende bien établie veut que la Suisse ait payé les privilèges de ses négociants par le sang de ses mercenaires. Une vue plus détaillée de ces privilèges, assez minces d'ailleurs, dément ce mythe. Passons sur la franchise du Gruyère, d'importance purement locale et vraiment secondaire: cet avantage, avec d'autres de bien plus grand poids, accordé à l'Etat de Fribourg, chef de file des cantons catholiques et francophiles, et dont les familles régnantes ne vivaient que du service et des pensions de France, peut en effet s'expliquer en partie par des raisons politiques. Mais aucune raison de ce genre ne vaut pour la situation privilégiée de Saint-Gall, dont l’industrie était pratiquement la seule qui ait tiré un profit substantiel et durable des fameux privilèges suisses. Cette position de la petite Ville et République de Saint-Gall, qui ne faisait même pas partie du Corps helvétique, mais en était simplement un modeste allié, est assez paradoxale. Ni du point de vue diplomatique, ni de celui du recrutement militaire, Saint-Gall ne présentait le moindre intérêt pour la France. «La ville de Saint-Gall, écrivait en 1708 le marquis de Puyzieulx dans son Mémoire sur la Suisse, ne subsiste que par le grand commerce de toiles qu'elle fait en France et en Allemagne, et elle profite plus, par ce commerce, des privilèges des Suisses en France, que nul autre Etat de la Suisse. Cependant son peu de crédit et son peu de puissance font que l’on doit faire fort peu d'attention à sa bonne ou mauvaise volonté.» Aussi bien n'était-ce pas par voie diplomatique que les négociants de Saint-Gall maintenaient leur privilège.

L’industrie des toiles de Saint-Gall éait devenue, depuis le xve siècle, l'héritière de toute l’industrie linière jadis si florissante dans toute la Haute Allemagne, et pendant trois siècles, la ville entière ne vit que de la fabrication et du commerce de ses toiles de lin. Dès le milieu du XVe siècle, le commerce de cette ville, si étrangement située dans une vallée d'accès difficile et formant impasse à 800 mètres d'altitude que le développement d'un centre industriel et commercial y semble un défi à la nature, s'étend à travers toute l’Europe, de la Pologne à l'Espagne; la société Diesbach-Watt , l’une des puissantes associations commerciales de la fin du Moyen Age, possédait des comptoirs permanents de Poznan, Breslau et Cracovie jusqu'à Barcelone, Saragosse et Valence. Le commerce à travers la vallée du Rhône vers l'Espagne, et bientôt vers l'Amérique, était pour la ville d'une importance vitale ; aussi les Saint-Gallois etaient-ils parmi les premiers venus aux foires de Lyon, et cette ville devenait, grâce à ses franchises, l'entrepôt le plus important du commerce saint-gallois. Cette vieille tradition du commerce d'Espagne, avec ses retours en espèces et lingots d'argent, explique peut-être le rôle étonnant -- et passager - de quelques maisons saint-galloises dans les fournitures d'argent aux Monnaies et aux armées de Louis XIV, en 1692-1714. Parmi les grandes familles négociantes de Saint-Gall qui, au VXIIe siècle, étaient déjà établies depuis des générations à Lyon, les Sollicoffre (Zollikofer), dont la grande société familiale était implantée depuis deux siècles à Lyon et à Marseille, venaient en tête jusqu'à leur débacle temporaire au milieu du XVIIe siècle; d'autres noms que nous rencontrerons souvent, et dont quelques-uns sont entrés dans la grande bourgeoisie lyonnaise ou française, sont les Scherer, Sellonf (Schlumpf), Fitler, Locher, Hogguer (Hoegger), Schobinger, Gonzebat (Gonzenbach), Horutener (Hochreutiner), Wegelin, Councler (Kunkler), Studer; dans leur sillon arrivèrent d'autres familles des petits centres toiliers des environs de Saint-Gall, les Guiguer (Gyger), de Buerglen en Thurgovie, sous la souveraineté de Saint-Gall, les Zellweger, d'Appenzell, les Scheidlin, d'Arbon, les Finguerlin, Allemands naturalisés suisses et établis au même lieu, et autres. La liaison entre Saint-Gall et Lyon était assurée par un service de courrier régulier, l' « ordinaire de Lyon » (Lyoner Ordinari) - auquel répondait en direction inverse l’«ordinaire de Nuremberg » -, fondé au XVIe siècle par les «
huit anciennes maisons lyonnaises» de Saint-Gall qui en demeuraient propriétaires jusqu'à la chute de cinq d'entre elles pendant la crise de 1640-1675 ; en 1678, ce service postal devenait la propriété commune des négociants «lyonnais» de Saint-Gall.

[aus: Herbert Lüthy, La Banque Protestante en France de la Révocation de l’Edit de
Nantes à la Révolution, I – Dispersion et Regroupement, 1685-1730, Paris 1959, Seite 56f.]