La traite des esclaves et le Palais DuPeyrou

par Théo Buss, Neuchâtel

Pierre Alexandre DuPeyrou est né en 1729 à Paramaribo, en Guyane hollandaise (aujourd'hui Surinam). D'une famille huguenote originaire de Bergerac (Dordogne), son grand-père avait fui la France après la Révocation de l'Edit de Nantes pour se réfugier aux Pays-Bas, puis à Paramaribo. Le père de Pierre Alexandre devint conseiller à la Cour de justice de Surinam. Il acquit aisément trois plantations, où il exploitait des esclaves. Veuve jeune, sa mère épousa en secondes noces Philippe de Chambrier, commandant en chef de la province de Surinam, responsable de réprimer toute velléité de révolte, soit des Amérindiens, soit des Noirs.

Installé à Neuchâtel avec sa mère (née Drouilhet), Pierre Alexandre épousa sur le tard Henriette Dorothée, fille d'Abraham Pury. 1) Ses activités philanthropiques lui valurent la réputation d'une "personnalité généreuse et bienveillante" 2) . Dans le livre qu'il lui consacre, Charly Guyot détaille ses relations avec J.J. Rousseau, Mme de Charrière et Voltaire, ses ennuis avec la "Vénérable classe" du fait de ses activités maçonniques, et ses idées favorables à la Révolution française (il est mort en 1794). Ses idéaux ne s'encombraient aucunement du fait qu'il tirait une partie de ses rentes de plantations coloniales, où les esclaves trimaient sang et eau. Ceux-ci n'étaient pas gentiment soumis. Les "Biographies neuchâteloises" rapportent qu'au cours d'une révolte, les "nègres marrons" dévastèrent une partie des plantations de Pierre Alexandre DuPeyrou.

Charly Guyot donne les chiffres – hormis les revenus en Suisse et aux Pays-Bas, 10'000 et 120'000 livres par an – des recettes qui proviennnent de Surinam: une seule plantation lui rapportait entre 24'000 et 40'000 livres par an. Si l'on considère qu'un instituteur neuchâtelois de l'époque gagnait 24 à 30 livres par année, Pierre Alexandre DuPeyrou était milliardaire en termes de pouvoir d'achat actuel. L'érection de son hôtel particulier au Faubourg de l'Hôpital coûta plus d'un million de livres. Il légua sa fortune à ses 32 neveux de Hollande, laissant aussi des cadeaux à son notaire, ses domestiques, ses vignerons, les pauvres de Cressier (où il possédait des vignes), et pour "chacun des nègres de ses différents plantages, sans distinction d'âge ou de sexe." 3)

1) L'auteur de la Chronique des chanoines et des Mémoires du chancelier de Montmollin.
2) "Portrait de DuPeyrou", discours prononcé par Charly Guyot à l'occasion de son installation comme recteur de l'Université de Neuchâtel, le 10 novembre 1955.
3) Charly Guyot: Pierre Alexandre DuPeyrou – Un ami et défenseur de Rousseau. Ides et Calendes, Neuchâtel,
1958, p. 218.