REPONSE DU CONSEIL-EXECUTIF DU CANTON DE BERNE DU 20 AOUT 2003

L’Etat de Berne ne fut guère impliqué dans le commerce triangulaire et donc dans la traite des esclaves aux 16e et 17e siècles. Il ne commence à placer des fonds à l’étranger qu’au début du 18e siècle ; avant cela, les maisons de commerce bernoises n’ont pas assez d’envergure pour être mêlées à ce commerce et il n’y a pas de banque à Berne avant 1702.

Une telle implication est en revanche indéniable en ce qui concerne le 18e siècle et la première moitié du 19e siècle. Les trois états de faits suivants doivent être distingués :

a) Les fonds de l’Etat de Berne placés à l’étranger et le commerce triangulaire. Entre 1719 et 1734, l’Etat de Berne fut propriétaire d’actions de la Compagnie anglaise des mers du Sud, qui faisait du commerce triangulaire. Il fut donc à ce titre impliqué indirectement dans la traite des esclaves. Par ailleurs, il souscrivit en 1757, puis en 1768 et dans les années 1780, à des obligations et des emprunts du Gouvernement danois, mais il renonça à prendre part à l’emprunt de 1760 destiné notamment à financer l’acquisition par le Royaume du Danemark d’îles et de colonies dans les Antilles. L’Etat de Berne ne semble donc pas être impliqué dans le financement des colonies antillaises danoises, qui ont permis à ce pays de participer pleinement au commerce triangulaire. En revanche, il est prouvé que des personnes de la Ville et République de Berne ont souscrit à l’emprunt de 1760.

b) Les commerçants-banquiers bernois et le commerce triangulaire. En 1702, les autorités bernoises renoncent à créer une banque d’Etat. Quant aux banques privées, elles sont très rares à Berne au 18e siècle. Deux d’entre elles doivent être évoquées dans le cadre de la présente réponse :

• la banque Marcuard ; banque vaudoise installée à Berne, elle a placé des fonds dans des actions de sociétés actives dans le commerce triangulaire (Compagnie française des Indes, etc.)

•la banque Louis Zeerleder ; Louis/Ludwig Zeerleder /1727 – 1792) fut membre des Deux Cents (Grand Conseil), et époux de Sophie Charlotte von Haller, fille de l’illustre Albrecht von Haller ; sa banque, qui eut moins d’envergure que la banque Marcuard, était néanmoins elle aussi propriétaire d’actions de la Compagnie française des Indes et donc impliquée indirectement dans le commerce triangulaire.

c) Le banquier Emmanuel Haller
Beau-frère de Louis/Ludwig Zeerleder, Rudolf Emanuel von Haller (1747 – 1833) était le huitième enfant du savant bernois Albrecht von Haller. Il n’a cependant pratiquement jamais vécu à Berne : né en Allemagne, c’est à Amsterdam, Paris et Marseille qu’il développe des activités qui l’impliquent fortement dans le commerce triangulaire. Il n’était donc Bernois que par son origine et les historiens le considèrent comme un banquier parisien.

Sur la base de ce qui précède, le Conseil-exécutif répond comme suit aux questions de l’interpellation.

1. Le Conseil-exécutif a conscience du fait que l’Etat de Berne, des commerçantsbanquiers de Berne et des familles patriciennes bernoises ayant recouru aux commerçants-banquiers précités ont été effectivement impliqués dans le commerce triangulaire du 18e siècle, mais indirectement, par le seul placement de fonds dans des actions ou des obligations de compagnies ou de pays liés à l’exploitation colonialiste. Les dimensions modestes de la place bernoise au 18e siècle expliquent la faible implication des commerçants-banquiers et des familles patriciennes de Berne, en regard d’autres villes suisses.

2. Il n’y avait manifestement ni règles, ni lois au sujet du commerce triangulaire. Il faut rappeler que, jusqu’au 17e siècle, en Europe comme dans le reste du monde, la perpétuation de l’esclavage ne scandalise personne, pas même ceux qui se piquent de philosophie. Au 18e siècle, de grands philosophes comme Montesquieu n’ont pas de scrupule à placer leurs économies dans les compagnies de traite. C’est seulement à partir de la fin du 18e siècle que les Anglais puis les Européens du Continent se préoccupent d’interdire la traite et d’abolir l’esclavage, sous la pression de ligues d’inspiration chrétienne et philanthropique. Jusqu’il y a peu, la plupart des investisseurs ne se souciaient guère du caractère éthique de leurs placements. A Berne au 18e siècle, seule la sûreté des placements à l’étranger faisait l’objet d’une surveillance et de critiques.

3. Ce que l’on sait sur l’implication de la Suisse et du canton de Berne dans le commerce triangulaire repose sur des études publiées il y a longtemps et reprises par Hans Fässler pour animer l’année commémorative 2003. De nouvelles études ne seraient souhaitables qu’au cas où les connaissances actuelles seraient manifestement lacunaires. Tel n’étant pas le cas, le Conseil-exécutif estime qu’il ne doit pas prendre l’initiative de commander de nouveaux travaux sur ce sujet.

4. et 5. Le Conseil-exécutif constate qu’il n’a la compétence ni de particper aux négociations en cours au sein de l’ONU, ni d’agir directement en relation avec la Déclaration et le Programme d’action de la Conférence mondiale contre le racisme. Il secontente donc de se rallier à l’analyse faite par le Conseil fédéral dans sa réponse du 16 juin 2003 à l’interpellation que la conseillère nationale Pia Hollenstein a déposée le 3 mars 2003 sur la Participation de la Suisse à l’esclavage et au commerce transatlantique.